Bon courage Messieurs les experts !

PAR ABDELHADI ALAMI
En matière institutionnelle, les choses vont rarement avec autant de célérité. Mais c’est peut-être l’exception qui confirme la règle ! Que l’on en juge :
– Le 29 juillet, le discours de la Fête du Trône, prononcé par S.M. le Roi Mohammed VI à l’occasion du 20ème anniversaire de son intronisation, annonce la mise en place d’une Commission Spéciale dédiée au Modèle de Développement du Royaume.
– Le 19 novembre, le Souverain nomme Chakib Benmoussa (jusque-là Ambassadeur du Maroc à Paris) à la Présidence de cette Commission.
– Le 12 décembre, S.M. le Roi nomme 35 membres personnalités, hommes et femmes de différents horizons, en tant que membres de la Commission.
– Le 16 décembre, la Commission tient sa toute première réunion de travail au siège de l’Académie du Royaume du Maroc, à Rabat.
Moins d’un mois entre l’installation du Président et le premier conclave avec les membres au grand complet. On le redit : nous avons rarement vu la mécanique institutionnelle s’emballer aussi vite. Il y a assurément là de quoi susciter des élans d’optimisme bien à propos. Ne s’agit-il pas d’un projet de société de la plus haute importance ? Le développement multisectoriel, transversal, du Royaume. Rien de moins.
Beaucoup a été dit et écrit sur cette Commission, sa finalité, sa mission, ses membres, ses périmètres d’action et l’approche qu’elle va déployer sur le terrain. Le Souverain lui a fixé un objectif calendaire, 6 mois, pour rendre sa copie. Fin juin 2020, ses experts sont censés non seulement avoir terminé leur audit, mais avoir remis leurs conclusions et recommandations à leur Président, qui présentera alors son rapport au Palais Royal.
Ils sont 35 spécialistes, incarnant l’essence intellectuelle et managériale du pays : économistes, sociologues, scientifiques, chercheurs, universitaires, hommes de lettres, praticiens d’entreprise, acteurs associatifs, consultants… Ils ont un semestre pour livrer leur diagnostic sur ce qui ne va pas ou va mal dans le pays, et ce, dans tous les aspects de la vie quotidienne : enseignement, santé, infrastructures, investissements, équipements, communications, urbanisme, agriculture, justice, jeunesse, Femme, sport, et on en oublie… On leur demande, en somme, de réaliser une radioscopie du Maroc qui soit la plus fidèle possible ! Le Souverain y a insisté dans son discours : «Nous attendons de cette Commission qu’elle remplisse son mandat avec impartialité et objectivité en portant à notre connaissance un constat exact de l’état des lieux, aussi douloureux et pénible puisse-t-il être».
Nous nous posons, à l’instar de l’ensemble des observateurs, quelques questions : les 35 membres de cette Commission sont-ils en nombre suffisant pour la mission qui les attend ? Seront-ils dans les clous par rapport au délai Royal ? Iront-ils jusqu’au bout dans la reddition des résultats ?
Le Royaume compte 12 grandes Régions. Chaque territoire a ses particularismes sociaux, humains, économiques, culturels, voire ethniques. Chaque territoire possède une singularité de reliefs et d’environnement différents. Cette équipe, démultipliée à 120 experts, ne sera pas de trop pour aller là où l’appellera sa mission. Une dizaine de spécialistes est un format critique pour constituer une force mobile et pluridisciplinaire à l’épreuve des difficultés. A moins que les 35 membres de la Commission sous-traitent leur audit et externalisent leurs prérogatives ! Peu probable…
Le délai de 6 mois leur suffira-t-il pour remplir le contrat ? Personne ne doute qu’ils auront à disposition les moyens appropriés pour le remplir. Comme la finalité est de boucler et non de bâcler la mission, il faut croiser les doigts et souhaiter que ce ne soit pas une énième initiative. Le mémorable exemple chinois est toujours vivant dans les mémoires et l’on peut s’en inspirer comme un cas d’école dans l’Histoire contemporaine récente. L’Empire du Milieu avait décidé, il y a une quarantaine d’années déjà, de réduire au maximum ses besoins, les individus participant collectivement (et avec conviction) à la réalisation d’un objectif national majeur : assurer une solidarité sociale et une croissance économique sur la durée. Ils ont réussi et la Chine est devenue la deuxième puissance de la planète. Le prix en a été douloureux, certes. Mais on ne réinventera pas la finalité de tout cela : il s’agit de redonner confiance aux investisseurs, stimuler la production, encourager la consommation, garantir la dignité du citoyen et pérenniser la sécurité du pays en toutes circonstances.
Bon courage, Messieurs les experts !