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TRIBUNE

Voilà ce qui obsède les internautes marocains sur les réseaux sociaux…

Avec un groupe d’étude choisi parmi des professeurs universitaires, des enseignants, des journalistes et des auteurs et autres analystes, nous avons travaillé pendant cinq ans sur les habitudes de consommation des Marocains en matière de réseaux sociaux. La question étant de voir quels sont les thèmes qui les intéressent, les sujets qui les préoccupent, les débats qui cristallisent leur intérêt et… à quoi ils consacrent des heures entières de leur temps, chaque jour, à naviguer sur les réseaux.

Par ABDELHAK NAJIB

Écrivain et journaliste

Durant cinq années, quotidiennement, les intervenants dans le cadre de ce travail qui fera l’objet d’une publication prochaine, nous avons scruté la Toile, avec ses différents canaux notant toutes les préférences, avec les récurrences, les constantes, les variantes et les implications pour définir de manière objective ce qui attire les Marocains, ce qu’ils suivent, ce qu’ils voient en continu, ce qu’ils préfèrent, ce qu’ils commentent, ce qu’ils partagent le plus et ce à quoi ils s’abonnent le plus.

La durée de cinq ans nous semble sinon largement suffisante pour établir un premier constat, du moins très pertinente pour établir un bon diagnostic qui demande, certes, à être approfondi et surtout touchant des millions de comptes sur plusieurs réseaux pour faire des tableaux comparatifs justes.

Les résultats sont certes clairs et plus ou moins prévisibles. Encore fallait-il aller au bout de notre travail pour en définir les tenants et les aboutissants…

Premier constat qui ne souffre aucune ombre : une écrasante majorité des sites et des comptes visités et suivis par un grand nombre de personnes que nous avons étudiées sont liés au… sexe. Notez bien : on dit «sexe» et pas «sexualité». Le Marocain lambda est très attiré par tous les contenus ayant trait à la pornographie, la nudité, l’étalage des contours féminins, avec une grande portion de sites de plusieurs femmes qui se filment constamment de derrière montrant leurs fesses dans des danses ou des démarches très suggestives…

Dans cet étalage, on trouve des sites dédiés à la prostitution pure et simple. D’autres comptes parlent de conseils pour faire de l’argent facile en vendant… ses charmes. D’autres diffusent des contenus sonores crus avec tout un narratif pornographique, à grand renfort de messages vulgaires, salaces, puisant dans le dialecte cru, insistant sur le côté «dévergondé» avec des insultes, des blagues grasses et des devinettes à caractère pornographique, très prisées par de très nombreux internautes. Cette partie des sites et comptes les plus visités comporte aussi des pseudos «célébrités» qui se veulent les porte-voix d’une certaine «liberté sexuelle», mais avec toujours une composante de sexe monnayé ! Le plus inquiétant, c’est que ces contenus sont compulsés et suivis par des mineurs, jeunes filles et jeunes garçons, à qui l’on inculque les «valeurs du sexe tarifé».

Dans ce cadre, on voit bien à quel point la liberté est confondue avec permissivité dans une braderie des corps et du commerce de la chair, sous le voile de la liberté de faire ce qu’on veut avec son corps…

Deuxième constat : après le sexe et ses ramifications, il y a la religion, avec un grand nombre de «prédicateurs» autoproclamés pour servir «la bonne parole», dans un style menaçant et, à la limite, tendancieux, mélangeant volonté d’attirer l’attention sur certaines pratiques sociales et appel à une certaine vindicte publique. Facile, avec ce genre de discours, de tomber dans le radicalisme le plus basique et de se substituer à la Justice en pensant mettre en avant sa propre vision de la société. D’ailleurs, un fait revient souvent : ceux qui sont adeptes du sexe sont aussi adeptes des partages de contenus «religieux»…

Troisième constat : le charlatanisme. Sur presque tous les comptes que notre équipe a étudiés de très près, les gens sont friands de paranormal, de surnaturel du monde des «Djinns», des sorcières, des voyants et voyantes, des cartomanciennes, des « Fqihs » qui ont accès direct aux mondes des esprits, voire à l’au-delà, comme si ces personnes étaient en contact direct avec Dieu. On diffuse des recettes contre la magie noire, le «Si7r», les possessions par des «Djinns» malveillants, ainsi que des conseils pour lutter contre les effets néfastes de la jalousie et, bien évidemment, d’autres aspects expliquant comment améliorer sa vie sexuelle avec des grigris, des breuvages et autres psalmodies ésotériques.

Sur ce volet, une grande majorité de Marocains sont de véritables adeptes. Le plus frappant, c’est que cette inclination à la divination et à la charlatanerie touche toutes les catégories sociales, pauvres, riches, analphabètes, diplômés, hautes fonctions, chômeurs, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes… Il s’agit là d’un véritable credo et d’une croyance solidement ancrée dans le tissu social, touches souches et couches confondues.

Quatrième constat : le catastrophisme. L’internaute marocain est très porté sur tout ce qui a trait aux mauvaises nouvelles. Il est prompt à partager et à diffuser des contenus scabreux, violents, agressifs et choquants surtout pour les plus jeunes. Accidents terribles, catastrophes naturelles, inondations, séismes, morts et blessés, guerre, agressions dans les rues, noyades, meurtres, massacres… Par contre, les bonnes nouvelles, les contenus propres, les faits bien heureux sont rarement relayés. La violence a pignon sur rue et de nombreux adeptes rivalisent de vitesse pour s’en faire les diffuseurs attitrés. Certains se vantent même d’être les premiers à inonder la Toile par ce genre de posts.

Cinquième constat : la politique. Un grand nombre de comptes «traitent» des affaires politiques du pays, mais sans avoir le moindre accès aux informations crédibles. Et c’est là le domaine par excellence des fake news et de la propagande. Chacun prêche pour une paroisse ou roule pour le compte d’un marionnettiste qui officie dans les coulisses. On remarque d’ailleurs, dans ce volet, que tout le monde semble avoir la science infuse et être au fait des affaires secrètes de l’État. Et c’est là que les théories du complot pullulent. Attaques contre tel ou tel, vraies-fausses révélations, analyses douteuses, «scoops» de pacotille, dénonciations sur la base de la rumeur…Bref, un fourre-tout qui fait office d’exutoire.

Sixième constat : la délation sur les réseaux sociaux. C’est presque un sport national. Non seulement chez le Marocain lambda qui s’en donne à cœur joie en mouchardant, mais aussi et même chez «une certaine presse» qui donne dans la délation tous azimuts. Des pratiques qui relèvent de cette culture populiste du «tberguig» très cher à une large frange de la société…

Septième constat : le coaching. Tout le monde s’autoproclame «coach» de quelque chose. Tout le monde est spécialiste dans un domaine ou dans plusieurs secteurs à la fois. Médecine, psychiatrie, nutrition, sciences, études, sports… Des personnes sans aucune qualification prodiguent à longueur de journées des «conseils» dont certains sont très graves, voire dangereux, comme c’est le cas lorsqu’on se mêle de la médecine, des médicaments ou de la naturopathie sans avoir aucune légitimité académique pour le faire ! D’autres sont «spécialistes» des affaires du cœur : marieurs et marieuses, conciliateurs de couple, conseillers matrimoniaux… La palette est large et, disons-le, ridicule. Mais on s’y jette sans garde-fous.

Pour le reste, c’est la bouffe qui tient le haut du pavé. On étale de la boustifaille à tout-va et on inonde les réseaux avec des tables qui, souvent, ne donnent pas envie. Mais en ce qui concerne des comptes et des sites dédiés à la science avec toutes ses discipline, à la philosophie, à la médecine pure et dure, à la véritable psychiatrie, à la littérature, aux arts, à la culture, à la sociologie, à l’archéologie, à l’Histoire, à la géographie, aux mathématiques, à la chimie, à la physique, aux voyages culturels, au vrai savoir, à la connaissance, à la musique de qualité, aux musées, aux balades dans la nature, à l’amour des animaux, à l’architecture, aux revues médicales sur les bienfaits des fruits et des légumes, aux méfaits des fast-food et de la malbouffe, au civisme, à la positivité et à l’optimisme, eh bien la majorité des internautes ne sont guère portés sur ce type de contenus. Elles sont même très rares, les personnes qui partagent des sujets servant à éduquer le goût et à rehausser le niveau; qui participent à faire des réseaux sociaux un véritable espace d’apprentissage et d’élévation.

Comme indiqué dans le préambule de cette analyse, notre travail d’observation et d’analyse, étalé sur les cinq dernières années, fera l’objet d’une publication prochaine.

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