Tournoiements célestes à Fès avec l’Ensemble Soufi d’Istanbul

Dans une ambiance empreinte de recueillement et de grâce, la prestigieuse scène de Bab Al Makina à Fès s’est transformée hier en un véritable sanctuaire de lumière et de silence habité, accueillant l’Ensemble Soufi d’Istanbul, “Istanbul Meydan Meşkleri Topluluğu”, pour une belle performance inspirée de la tradition Mevlevi. Un moment très fort dans cette édition 2025 du Festival de Fès des Musiques Sacrées du Monde.
Les tournoiements mystiques des derviches ont captivé une assistance suspendue aux rythmes lents et aux envolées spirituelles d’une musique sacrée remontant aux enseignements du grand mystique persan Djalâl Ad-Dîn Rûmî. «Tous les chemins mènent à Dieu. Moi, j’ai choisi celui de la danse et de la musique», écrivait-il.
Cette phrase, qui résonne comme un manifeste de foi en mouvement, a pris corps sur scène à travers le Semâ, cérémonie sacrée faite de poésie, de chant et de danse.
La musique, jouée sur des instruments traditionnels de la musique turque «Makam», s’est déployée en vagues méditatives, soutenant l’élan circulaire des derviches tourneurs, enveloppés dans leurs longues robes blanches, les bras ouverts comme pour embrasser le divin. Chaque rotation semblait un appel, un dialogue silencieux entre la terre et le ciel, entre l’âme humaine et l’infini.
Héritiers d’un rituel ancestral codifié après le 13ème siècle par les disciples de Rûmî, les membres de l’Ensemble Soufi d’Istanbul ont offert bien plus qu’un spectacle : une prière incarnée, un voyage intérieur partagé avec le public, dans une osmose rare entre art, foi et silence.
Ce moment suspendu, entre souffle et musique, s’inscrit parfaitement dans l’esprit du Festival de Fès des Musiques Sacrées du Monde, qui, depuis sa création, explore les chemins de la transcendance par les traditions musicales de tous les horizons. Dimanche soir, à Fès, le ciel semblait tournoyer au rythme de l’âme.
Déclaration de Mithat Özçakil, responsable de l’ensemble des cérémonies soufies d’Istanbul : “Je suis derviche tourneur, mais également Directeur de l’Ensemble des cérémonies soufies d’Istanbul. Nous ne sommes pas uniquement dans la performance artistique. Notre mission va bien au-delà : nous œuvrons pour la transmission et la formation de l’art sacré des cérémonies soufies, comme celle que nous avons présentée à Bab Al Makina. Le Festival de Fès des Musiques Sacrées du Monde, auquel nous participons, est particulièrement important pour nous, car il incarne l’apprentissage, l’échange et la renaissance spirituelle. Le Semâ, cette danse sacrée des derviches tourneurs, n’est pas un simple spectacle : c’est un chemin vers la connexion divine. Dans cet état semi-conscient, chaque derviche répète inlassablement le nom de Dieu : Allah, Allah, Allah… Même si le public ne l’entend pas toujours, cette invocation intime génère une énergie profonde, presque palpable. Nous ne dansons pas pour être vus, nous tournons pour nous rapprocher de Dieu.
Ce festival rassemble des artistes et des publics du monde entier, et crée une véritable fraternité, en écho à la pensée soufie. C’est pour cela que nous ressentons cette expérience comme précieuse et porteuse de sens.
Préserver l’authenticité de nos traditions tout en les partageant avec un public international est au cœur de notre démarche. Notre Ensemble est constitué de maîtres spirituels et de disciples enracinés dans la tradition soufie depuis plusieurs générations. Mon frère et moi représentons la troisième génération d’enseignants et de pratiquants, guidés par l’héritage de notre père et de notre grand-père. Bien sûr, le Semâ a connu des évolutions, et la musique soufie a été influencée par le temps. Mais nous nous attachons à préserver sa forme originelle. Une forme vieille de 400 ans. Nous veillons à transmettre sa spiritualité intacte. Notre performance à Bab Al Makina est une cérémonie de Semâ fidèle à l’ordre Mevlevi, accompagnée d’une musique soufie datant de près d’un siècle. À travers notre présence ici, nous poursuivons une tradition vivante, qui relie le passé au présent, et l’homme à l’infini.
LAIDIA FAHIM