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INTERVIEW

«Les personnes vaccinées perdent leurs anticorps au bout de 6 ou 8 mois»

Avec les nouveaux variants du coronavirus, la donne épidémiologique a changé. Désormais, il faut vacciner plus que prévu ! Si le vaccin n’a pas d’effets nocifs, il n’en demeure pas moins qu’il réduit le nombre des anticorps chez les personnes vaccinées. C’est, entre autres enseignements, ce que l’on retient de cette interview réalisée avec le Pr Kamal Marhoum Filali, Chef du service des Maladies Infectieuses au CHU Ibn Rochd à Casablanca.

Propos recueillis par ABDELALI DARIF ALAOUI

Le Maroc est bien avancé en matière de vaccination. Pourquoi donner un nouveau coup d’accélérateur à la campagne ?

C’est une question importante. À ce jour, il n’y a pas de traitement curatif efficace contre le «Covid-19». Tout se joue au niveau de la prévention ! Il y a les mesures barrières et il y a la vaccination, d’où l’importance de cette dernière. En général, un vaccin permet d’immuniser 80% de la population qui l’a reçue et qui ne développera pas le «Covid-19». Cela dit, 20% pourraient développer la maladie. Si une personne en fait partie, elle ne développera pas forcément de signes graves et ne posera pas de grands problèmes. Elle n’aura pas besoin d’être hospitalisée ou admise en soins intensifs ou en réanimation. Au-delà, si nous arrivons à vacciner un pourcentage important de la population, on atteindra l’immunité collective, qui est une protection communautaire. Au Maroc, on vise la barre de 80%. Il manque quelque 5 millions d’individus à vacciner. À l’échelle communautaire, cela nous permettra d’être protégés.

On a beaucoup parlé de séquelles causées par les vaccins. Qu’en est-il réellement ?

Ces vaccins sont récents. Comme tout médicament récent, ils doivent être surveillés. C’est le cas au Maroc, et ailleurs, où il s’agit de surveiller les effets indésirables qui pourraient survenir. À vrai dire, il vaut mieux parler d’événements indésirables. Dans la pharmacovigilance, on nous demande de rapporter tout événement qui surviendrait après la vaccination. C’est la multiplication de ces événements qui est retenue. C’est un signal. Un événement peut devenir indésirable quand on le constate à plusieurs reprises. Les observations révélées récemment par le Comité scientifique font état de dizaines de milliers de cas. On se rend compte qu’il y a surtout des événements qui ne sont pas graves comme la fièvre, les douleurs musculaires et les maux de tête. Ce sont des événements qui ne sortent pas de l’ordinaire. Les cas graves sont faibles au Maroc et ailleurs aussi. Chez nous, il n’y a pas eu de décès liés au vaccin. On a rapporté deux cas, mais les examens ont démontré qu’il n’y avait pas de cause à effet. Dans le cas de la jeune femme décédée récemment, il s’est avéré qu’elle souffrait d’une autre maladie.

Les États-Unis vont commencer à vacciner les enfants aussi. Pensez-vous que le Maroc suivra la même voie ?

Le Maroc est déjà passé à la tranche des plus de 12 ans. Les vaccins «Pfizer» et «Sinopharm» sont approuvés pour cette tranche d’âge. Récemment, «Pfizer» a déposé les résultats de ses essais cliniques pour les enfants de 5 à 11 ans et les résultats étaient probants. La Federal Drug Administration aux États-Unis a donné son feu vert pour ce vaccin. Personnellement, il ne m’appartient pas de dire si on va suivre ou non, mais je peux vous suggérer quelques pistes de réflexion. D’abord, est ce qu’on a intérêt à vacciner les enfants ? Avant, on disait que les enfants n’étaient pas concernés par le «Covid». Après l’apparition des variants, on s’est rendu compte que les enfants étaient exposés et qu’ils développaient la maladie de façon symptomatique. Certains enfants ont même décédés à cause de ce virus. Deuxième chose : si nous voulons atteindre l’immunité collective, il faudra vacciner le maximum de personnes. On a fixé la barre à 80%, mais peut-être faudra-il aller au-delà ! Si l’on vaccine les enfants, on augmentera le nombre de la population vaccinée et l’on s’approchera de l’immunité collective. Il n’y a pas urgence, mais il n’est pas exclu que l’on soit amené à vacciner en-dessous de 12 ans. Des essais cliniques ont été lancés pour «Sinopharm» aux Émirats Arabes Unis et en Chine concernant la vaccination des enfants à partir de 3 ans.

Par rapport au «Ro» du virus, comment est-ce qu’il a évolué depuis le début de l’épidémie ?

Le «Ro» est la possibilité de développement d’une épidémie due à un virus donné. Quand on dit que le «Ro» est à 2 ou à 3, cela signifie qu’une personne contaminera 2 à 3 personnes. Au début de l’épidémie, le «Ro» était de 2 à 3. Or, il se trouve qu’avec les nouveaux variants, qui sont plus transmissibles, le «Ro» est devenu plus élevé. Avec le variant «Delta», il atteint le niveau 5, voire 6 ! Lorsque vous voulez atteindre l’immunité collective, connaître le «Ro» est important. Plus le «Ro» est élevé, plus vous aurez besoin de vacciner le maximum de personnes. Avant, on disait qu’il fallait vacciner 70% de la population. Ce n’est plus le seuil à atteindre avec les nouveaux variants, notamment le «Delta». Nous ne sommes plus dans la logique de 70%, mais dans celle de 80%, voire plus ! Il faut, en effet, vacciner le plus de monde possible car la partie n’est pas encore gagnée.

L’Organisation Mondiale de la Santé a annoncé que certains pays allaient sortir de l’épidémie dès l’année prochaine. Qu’est-ce qui la pousse à être aussi optimiste ?

Dans certains pays, les taux de vaccination sont très élevés. Au Maroc, près de 67% de personnes ont reçu au moins une dose et près de 60% ont reçu deux doses. Nous sommes en train d’avancer vers l’objectif des 80%. Pour l’Organisation Mondiale de la Santé, certains pays atteindront l’immunité collective grâce à la dynamique de la vaccination. Par ailleurs, nous savons qu’il y a des médicaments qui sont en train d’être développés et qui sont des antiviraux efficaces. Les essais sont très concluants et certains produits pourraient être mis sur le marché dans les semaines ou les mois à venir. En combinant le vaccin et les traitements pour les personnes malades, je pense qu’on pourra contrôler cette épidémie plus efficacement. Là où le bât blesse, c’est que tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne ! Les taux de couverture vaccinale dans les pays nantis sont élevés, mais malheureusement dans d’autres pays, en particulier en Afrique, la couverture vaccinale est encore extrêmement faible. C’est un problème au niveau mondial : lorsqu’une partie de la population n’a pas été vaccinée, il y a circulation importante de virus ! Du reste, il y a un nombre important de cas et de variants qui peuvent répondre ou ne pas répondre au vaccin. Il faut donc que tous les pays soient au même niveau de vaccination pour vaincre ou du moins contrôler efficacement l’épidémie. Un variant qui apparaît dans un pays où les conditions de contrôle ne sont pas optimales finira par arriver dans d’autres pays. Et ce sera un nouveau démarrage avec un nouveau variant et une nouvelle épidémie !

Sera-t-on amené à se faire vacciner chaque année à cause de ce virus ? Nous ne pouvons pas le savoir. La réponse n’existe pas. Ce qui est connu, c’est que les personnes vaccinées perdent leurs anticorps au bout de 6 ou 8 mois et n’ont plus un nombre d’anticorps suffisant pour s’auto-protéger. C’est ce qui explique le pourquoi de la troisième dose de vaccin. On constate aussi que les personnes qui ont été hospitalisées et qui ont été vaccinées, l’ont été six mois auparavant ou plus. Il est probable qu’avec le temps, ces personnes ont perdu leur immunité… Il y a aussi l’immunité cellulaire. Celle des cellules de défense. Pour le moment, nous n’avons pas d’études sur ce volet. C’est pour cela que certains pays ont adopté la troisième dose. L’Organisation Mondiale de la Santé dit qu’il ne faut pas l’entreprendre ! Elle considère qu’il n’y a pas lieu de recourir à la 3ème dose alors que des personnes n’ont pas reçu leur 1ère dose. Pour l’Organisation, les pays riches devraient donner des vaccins aux pays pauvres au lieu d’opter pour une 3ème dose. Au Maroc, la 3ème dose est conditionnée, elle n’est pas systématique. Elle concerne les gens qui sont en première ligne ou qui ont de la comorbidité. Personne ne sait s’il y aura d’autres doses. On va surveiller les gens qui recevront la 3ème dose sur le plan clinique et sur le plan des anticorps pour voir s’ils vont augmenter et s’ils vont persister plus longtemps qu’après les deux premières doses. On apprend au fur et à mesure. C’est une maladie nouvelle. On apprend et on agit en conséquence.

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