«Une vie ne suffit pas», le très attendu premier roman d’Abdou Achouba aux Éditions Orion-Sirius

Par ABDELHAK NAJIB
Écrivain et critique de cinéma
Le producteur et réalisateur marocain Abdou Achouba annonce la parution prochaine d’un roman, qui revient sur sa vie. Ce n’est pas là un roman autobiographique, mais les pages de cet opus regorgent d’histoires intimes, de rencontres avec de grandes figures du monde des arts, de la culture et du cinéma… Et surtout, c’est le roman d’une vie.
En lisant «Le monde comme volonté et comme représentation» d’Arthur Schopenhauer, je retrouve avec bonheur cette saillie qui résume à elle seule ce que peut être la vie d’un homme, qui a su cheminer dans le monde tel un aventurier, un explorateur, un pèlerin, un errant, qui ne soucie guère de la destination et que seul le chemin attire. Le philosophe allemand dit ceci : «Comment peut-on prétendre avoir vécu sans avoir une histoire à raconter ?». La même phrase est reprise chez Féodor Dostoïevski, chez Franz Kafka, chez Robert Musil et chez Marcel Proust. D’ailleurs, le roman d’Abdou Achouba a quelque chose d’«À la recherche du temps perdu». Les souvenirs, les réminiscences, les non-dits, les suggestions, les rêves, ceux que l’on finit par réaliser et les autres, qui doivent à tout jamais demeurer des rêves intangibles et inatteignables, comme des lanternes qui nous servent de boussole, dans cette vie et au cœur du monde.
Pour ceux qui connaissent Abdou Achouba, inutile de rappeler que nous sommes face à un parcours unique et si diversifié. Journaliste avant l’heure, reporter, étudiant doué, diplômé de la Sorbonne, professeur émérite, producteur de films, réalisateur de l’inoubliable «Taranja», écrit avec feu Larbi Batma, un des plus grands responsables de l’illustre Cinecitta, à Rome, ayant fréquenté les plus grands de ce monde, d’Orson Welles à Chadi Abdessalam en passant par toute une pléiade de grands acteurs, actrices, cinéastes et producteurs qui ont écrit quelques-unes des plus belles pages du cinéma.
Grand connaisseur du cinéma, critique averti, ami de Serge Daney, grande figure des «Cahiers du Cinéma», il a été nourri au contact d’univers aussi profonds et humains que ceux de Visconti, Pasolini, Scola, Leone, Fellini, Bertolucci, De Sica, Rossellini, Antonioni, Zeffirelli, mais aussi Germi, Comencini et Risi. Sans oublier Francesco Rosi, Gilo Pontecorvo, Ermanno Olmi et Nanni Moretti. Évidemment cette liste de connaissances peut s’élargir à tous ceux qui ont offert à la postérité quelques-uns des films les plus inoubliables des 20ème et 21ème siècles, de Tarkovski à Coppola en voyageant à travers les univers disparates de Scorsese, De Palma, Godard, Chahine, Lynch, Kubrick, Kurosawa, Ray, Güney, Haneke, Wenders, Kontchalovski et tant d’autres.
C’est cette même profondeur que l’on retrouve dans son roman dont voici un extrait de la présentation faite par l’auteur lui-même : «Il ne vaut la peine de vivre que ce qui n’a jamais été vécu, ni de rien dire que ce qui n’a jamais été dit». Ce roman venu tard dans ma vie n’est pas une biographie car, comme l’écrivait la grande Elsa Morante, «La biographie n’est qu’une suite de potins». Ce que j’ai traité, par épisodes, sont des histoires réelles de ma vie, depuis mon enfance, les instructions reçues et mes riches expériences avec des personnes d’exception au Maroc, France, Italie et en Égypte. Mon vécu, dans ces quatre grands pays, n’était pas un mais plusieurs rêves ! Au commencement, à l’âge de 6-8 ans, mon renvoi de l’école coranique où j’étais pris par le maître religieux en flagrant délit de caresses et touchées du bas du ventre de ma cousine… Nous étions cachés par nos propres planches d’étude où était transcrit le verset sacré». A la fois intime versé dans les méandres d’une vie dont le destin a fait un carrefour de belles rencontres qui finissent, d’une manière ou d’une autre, par façonner une trajectoire humaine, qui est demeurée attachée à la simplicité de la vie et à la rigueur de celui qui aborde l’existence comme l’artiste son œuvre d’art.
Abdou Achouba nous livre à travers toutes ces pages le condensé romancé d’un pèlerinage à la rencontre de soi, à travers les autres, à travers le don de vie et de ses revers, mais surtout à travers la destinée d’un homme qui aime la vie et qui la célèbre : «Sous les troènes de la Villa Leone, dans le 14ème Arrondissement parisien, où elle avait son atelier d’artiste, nous recevions beaucoup de célébrités, Mouloudji, Maxime Le Forestier, Jean Louis Bory, Jean Louis Godard même, Serge Daney et l’inoubliable, la sublime actrice américaine Jean Seberg. L’été 1978, un an avant son suicide, et celui de son mari-protecteur Romain Gary, elle était notre invitée surprise. Je m’installais en face d’elle m’occupant exclusivement d’elle en s’abreuvant de champagne et de grands crus français… espérant un mot, souhaitant une conversation ! Qui de notre génération n’avait pas rêvé de cette adolescente, en coupe garçon, devenue l’égérie de la Nouvelle Vague depuis «À bout de souffle» de Godard. Elle était, à 21 ans, celle dont Gary Cooper disait qu’«Elle avait appris à être une star avant de devenir une actrice». Elle était là, assise comme une statue du maître baroque de la Renaissance Italienne, Bernin, acceptant que je l’abreuve en la regardant du fond de mes yeux emplis de sa blancheur irréelle, espérant un mot, un seul mot de toute la soirée», lit-on dans la même présentation, avant d’ajouter : «Il n’est jamais venu. Il n’y a jamais eu de conversation ! Je me nourris de la vie des hommes et des femmes instruits, des journalistes brillants, des cinéastes créateurs, et théoriciens modernes comme ceux des «Cahiers du Cinéma», des débats passionnants à Paris avec Youssef Chahine tard dans la nuit sur l’orientalisme du cinéma égyptien, sur l’étoile filante, unique au monde, appelée Shadi Abdessalam, auteur pharaonique d’un seul film dans une vie… Et d’autres, d’autres amis proches venus de toutes les sphères du globe».