Entre dévotion et «Tramdina»

Par HASSAN EL ARCH
Directeur de la Rédaction
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Il peut sembler grotesque que le mois censé être le plus serein de l’année soit en même temps le plus tendu. La dévotion n’empêche pas la «Tramdina» chez un jeûneur sur deux chez nous. Aucun vrai sondage (ou cela remonte loin) n’a encore permis de mesurer de manière crédible le degré d’agressivité et les effets de cette dernière sur le comportement social durant le Ramadan. Pourtant, le sujet fournirait même de la matière en abondance pour des mémoires très consistants, voire des thèses de doctorat en sociologie.
Selon le Pr El Arabi Jaidi, universitaire et expert émérite en sciences humaines, le Ramadan renvoie à des dimensions complexes, entrecroisées sur de vastes territoires de réflexion : religion, solidarité, éthique, psychologie, économie, philosophie… «En jeûnant, les riches comprennent ce que les plus démunis vivent au quotidien, et ces derniers profitent de la générosité ambiante pour se nourrir convenablement pendant ce mois sacré. Au-delà de ces dimensions, le jeûne engendre le renforcement des liens communautaires et participe à la construction de soi». On est pourtant effaré par l’ampleur de la «déconstruction» lorsqu’arrive le Ramadan…
Les conflits qui, d’ordinaire, se règlent à l’amiable donnent lieu, durant ce mois sacré, à un débordement de violence sur la voie publique. Violence verbale d’abord puis physique ensuite. Valeur chère à la culture marocaine, la tolérance cède le pas à l’hostilité. Les heures qui précèdent la rupture du jeûne sont édifiantes en matière d’échanges sociaux, d’éclats de voix et bien entendu d’accidents de la circulation. Un conducteur inoffensif, en temps normal, devient tout à coup un dangereux chauffard, voire un assassin en puissance. Nous consacrons à cette question une partie de notre dossier central, dans le présent numéro.
Les experts en addiction nous disent que l’augmentation du stress qui provoque des postures agressives chez les toxicomanes pendant le Ramadan, est un effet «naturel» de l’arrêt du tabac et de la consommation de café et de drogues, qu’elles soient dures ou douces. Ils nous expliquent aussi qu’à l’autre bout du spectre, les excès de colère durant le jeûne chez les personnes pourtant non addictes découlent du manque de sommeil.
L’un dans l’autre, si l’on en croit les chercheurs, la moitié de la société devient infréquentable à cause de la dépendance du tabac et l’autre moitié l’est tout autant à cause du dérèglement du cycle de sommeil. Une fatalité, en somme, la «Tramdina» ?… Peut-être. Tout comme la boulimie indissociable du rite de la rupture du jeûne. De quoi se remémorer une boutade parmi d’autres de notre jeunesse, lorsque les aînés incitaient les adolescents à être pondérés pendant le Ramadan : ça aurait pu être onze mois d’abstinence pour un mois de consommation ! Ayayay…