«Le nouveau quotient électoral va balkaniser le paysage politique»

Dans cet entretien à bâtons rompus, le Pr Mohamed Zineddine, enseignant de sciences politiques à l’Université Hassan II de Casablanca, donne son avis sur les élections du 8 septembre courant. Outre le quotient électoral qui va changer la donne, il aborde des questions de fond liées à ce scrutin, notamment l’enjeu que les élections représentent pour les Marocains.
Propos recueillis par ABDELALI DARIF ALAOUI
Quelles sont les nouveautés induites par le nouveau quotient électoral ?
Dorénavant, le quotient électoral sera basé sur le nombre d’inscrits sur les listes électorales et non pas sur le nombre des votes valides lors d’un scrutin. Auparavant, on avait le vote par liste à la proportionnelle en adoptant un quotient basé sur le nombre des suffrages exprimés valides, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Arithmétiquement, il deviendra difficile pour un parti de doubler le quotient électoral ! Si le PJD, qui avait décroché 125 sièges, pouvait doubler ou tripler le quotient électoral auparavant, ce n’est plus possible avec le nouveau système électoral. Prenons le cas d’une circonscription où il y a 100.000 électeurs et 5 listes en compétition. Le quotient électoral était basé sur les bulletins valides. Si dans ce cas, il y a 40.000 votes valides, cela donne un quotient de 8.000 pour chaque siège. Dans le système actuel et en divisant le nombre des inscrits par le nombre des listes, cela donne 20.000 voix pour chaque siège. Donc, cela devient difficile pour le PJD et les autres partis.
Pensez-vous que ce changement est destiné à freiner l’élan électoral du PJD ?
Non. C’est vrai que cela influera sur le nombre de sièges qu’il remportera lors du prochain scrutin, comme pour les autres partis. Cela influera aussi sur les Mairies et les Conseils régionaux, car il sera difficile de multiplier le quotient électoral. Un parti ne remportera pas forcément un nombre suffisant de sièges lui permettant de présider une Mairie ou un Conseil régional. Un autre aspect à prendre en compte est l’abrogation du système de seuil électoral, ce qui permettra aux petits partis d’être aussi représentés. Les grands partis resteront, mais les petites formations seront plus représentées, même faiblement. Avant, on avait 20 petits partis qui ont remporté zéro sièges en 2016. La donne change aujourd’hui car le quotient électoral a changé et le seuil a été aboli.
Cela ne risque-t-il pas de balkaniser le paysage politique ?
Sans conteste ! La France avait essayé ce système qui a conduit à la balkanisation. L’Italie aussi, jusqu’à 1990, et cela avait conduit à la même chose. Cela risque de créer des alliances non homogènes qui plomberont le travail des instances élues, aussi bien au Parlement qu’aux Conseils régionaux et aux Mairies. 32 partis sont en lice pour ces élections. Annahj Addimocrati a boycotté les élections. Les petits partis ont couvert 65% des circonscriptions, chose qu’ils ne réalisaient pas avant. Ils n’occuperont pas les premières places, mais ils auront une présence, surtout dans les Conseils communaux.
Avec cette balkanisation, aurons-nous un gouvernement homogène, efficient et apte à travailler ?
Cela dépend du parti qui remportera la première place à ces élections. Si c’est le PJD, ce sera difficile car il est fâché avec tout le monde, et même avec ses alliés !
Pensez-vous que le RNI est favori, vu qu’il a réalisé un bon score aux élections professionnelles ?
Ces élections sont spécifiques et concernent les milieux professionnels. On ne peut donc pas juger à partir de ces élections. Cela dit, il est difficile pour le PJD de trouver un allié, en cas de victoire. Pour le RNI ou l’Istiqlal, ce sera plus facile de trouver des alliés, ce qui n’est pas le cas du PJD.
Pensez-vous que les Marocains seront nombreux à aller aux urnes, surtout avec la pandémie ?
Les efforts fournis par l’État vont pousser vers un taux de participation semblable à celui des autres scrutins. L’État a pris une série de mesures incitatives pour inciter l’électeur à aller voter, malgré la méfiance à l’égard de la classe politique et l’état d’attentisme que nous vivons.
Quels sont les principaux enjeux de ces élections ?
Ils sont nombreux. Ce sont des enjeux à la fois internes et externes. En interne, il y a la mise en œuvre du nouveau Modèle de Développement et la Charte Nationale du Développement, le chantier de la Régionalisation avancée, les réformes fondamentales voulues par le Souverain pour lancer des chantiers structurants qui apporteront de grands changements dans le pays. Dans son discours du 20 août dernier, S.M. le Roi a manifesté une grande volonté politique d’aller de l’avant et moderniser le pays à plusieurs niveaux. Pour cela, nous avons besoin d’un gouvernement fort et d’un parlement encore plus fort. Il y a des chantiers prioritaires : la santé, l’éducation, la couverture sociale… La classe moyenne aussi, car elle a beaucoup pâti des gouvernements dirigés par le PJD. Il n’y a plus de classe moyenne !
Et au niveau externe ?
En externe, certains pays n’apprécient pas que le Maroc se développe à plusieurs niveaux, notamment l’Algérie. Le Royaume a dépassé l’Algérie à tous les plans. Le Souverain l’a expliqué dans son dernier discours. Le Maroc est devenu une puissance régionale qui contraint ses adversaires à se livrer à mille calculs. Nos ennemis essaient de limiter la stature que le Royaume a prise. Grâce à son «soft power», le Maroc a pris de court ses rivaux. Cela nous oblige à avoir une classe politique qualifiée. Il faut revoir de façon profonde la structure de la classe politique. Nos politiciens sont limités en termes de qualification. Il faut la requalifier car nous avons plus de 800.000 cadres marocains en dehors des partis politiques. Pour réaliser la Régionalisation avancée et le nouveau Modèle de Développement ainsi que la qualification des ressources humaines, il nous faut des élites qui comprennent la stratégie suivie par le Souverain. Il faut qu’il y ait une concordance entre cette vision Royale et celle des partis. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Le gouvernement travaille seul, sans harmonie. Il doit être animé par la philosophie et la stratégie Royales. Dans la prochaine étape, l’Exécutif doit être imbu de cette philosophie et de cette vision, car pour travailler avec le Souverain, il faut d’abord le comprendre. C’est essentiel. Il faut que le prochain gouvernement réponde aux attentes des Marocains.