6 Marocains sur 10 sont addicts au smartphone dans la chambre conjugale

Existe-t-il un lien significatif entre l’utilisation excessive du smartphone, en particulier le soir, dans la chambre à coucher, et les troubles sexuels qui surviennent parfois au sein du couple ? C’est à cette question que deux professeurs marocains ont tenté d’apporter des réponses, à travers une étude scientifique inédite en Afrique.
Première du genre dans la zone Afrique du Nord et Moyen-Orient, une étude scientifique a été réalisée récemment dans le périmètre urbain de Casablanca, par deux chercheurs marocains, sous le thème évocateur d’«Impact des smartphones sur les troubles sexuels au sein de la population casablancaise». L’initiative est le fait du Dr Redouane Rabii, chef du service d’Urologie et de Santé Sexuelle à l’hôpital Cheikh Khalifa, en collaboration avec le Pr Khalid Balar, enseignant en Informatique et Modélisation Statistique à l’Université Hassan II de Casablanca. L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 600 personnes (hommes et femmes, âgés entre 20 et 60 ans et tous mariés) et montre que «60% des adultes sont confrontés à des problèmes liés au sexe à cause de l’utilisation et de la consultation de leur smartphone la nuit, au lit». Par le biais d’un questionnaire en face à face ou envoyé par mail, les personnes sondées ont répondu à cette recherche, qui a été menée sur quatre semaines, entre octobre et novembre 2019, mais dont les résultats n’ont été révélés que fin 2020.
92% des sujets y touchent avant de dormir
Première évidence et condition même de l’enquête : 100% des personnes interrogées possèdent un smartphone. Parmi elles, 92% affirment l’utiliser le soir avant de se coucher. Seulement 18,6% de ces personnes disent mettre leur téléphone en «mode avion» dans la chambre à coucher. D’un point de vue général, la moitié des personnes approchées admet «ne pas être à l’aise au niveau sexuel, la cause étant la présence du téléphone portable dans la vie quotidienne». En effet, les résultats montrent que «50,5% des sondés se disent insatisfaits de leur vie sexuelle». De plus, 11,5% de ces personnes avouent une dysfonction érectile sévère, 35% disent souffrir d’une baisse de libido et 20,4% d’éjaculation précoce. Par ailleurs, 20% des femmes souffrent de dyspareunie. «Ces personnes reconnaissent que l’utilisation du téléphone dans le lit conjugal perturbe sérieusement leur vie sexuelle avec leur conjoint», indiquait globalement l’étude. «Je vois plusieurs personnes qui souffrent de troubles de la sexualité, troubles notamment érectiles, sans pathologie associée. C’est cela qui m’a interpellé ! Jusqu’à présent, très peu d’études ont été consacrées au lien entre l’utilisation excessive du smartphone et les troubles de la sexualité, à l’exception de quelques études britanniques et américaines», reconnaît le Dr Redouane Rabii.
Les 20 à 45 ans sont les plus concernés
Cette enquête marocaine a été publiée en septembre 2020 dans la revue scientifique «International Journal of Science and Research» (IJSR). Ses résultats montrent également une augmentation de l’incidence des troubles sexuels, plus précisément sur le groupe d’âge allant de 20 à 45 ans. «Ce sont les personnes âgées de 20 à 45 ans qui sont les plus touchées par le phénomène. Un autre chiffre donne le tournis : un Marocain de moins de 40 ans regarde en moyenne son téléphone 117 fois par jour, et donc également le soir, une fois au lit ! D’ailleurs, 50,4% des personnes utilisant un smartphone expriment un niveau de satisfaction réduit vis-à-vis de leur sexualité et les deux tiers de cette catégorie appartiennent à une tranche d’âge comprise entre 20 et 45 ans», révèle l’étude.
Autre constat alarmant : «82,9% des patients souffrant de troubles sexuels utilisent des appareils électroniques simultanément à l’utilisation du smartphone, par exemple la télévision ou l’ordinateur, et 12,5% de ces personnes utilisent plusieurs appareils électroniques en même temps, souffrant ainsi de troubles érectiles, tandis que seulement 14% des sujets atteints de ces troubles les associent à une utilisation excessive des smartphones». De fait, la prévalence est particulièrement élevée chez les sujets utilisant plusieurs appareils électroniques en même temps ! «Le taux relatif aux troubles sexuels est élevé chez les couples utilisant des smartphones dans la chambre conjugale», souligne par ailleurs l’étude.
Le Dr Redouane Rabii s’alarme de ce que le smartphone soit désormais partout, y compris dans la chambre à coucher. «On ne se permettrait pas de fumer ou de manger dans la chambre à coucher, mais on navigue sur son téléphone, oui, largement ! Les smartphones se sont introduits dans cet espace intime sans permission, je dirais… Chacun regarde ses mails professionnels, ses messages WhatsApp, son compte Instagram… Ce ne sont pas les ondes émises par les smartphones qui «tuent» la sexualité, mais bien l’attrait irrésistible que ces appareils suscitent, c’est-à-dire un rapport addictif», indique le spécialiste. Ce dernier explique aussi que «l’addiction entraîne une attention dispersée, alors que la sexualité conjugale est un domaine où la composante psychologique, notamment l’attention, joue un rôle très important».
Un désinvestissement émotionnel s’installe !
82% des couples interrogés dans le cadre de cette enquête possèdent une télévision dans leur chambre. Un constat qui montre une distraction très forte, voire un désinvestissement émotionnel, un détournement total de l’individu vis-à-vis du rapport intime au sein de son couple. Et pour cause : le plaisir est en réalité éprouvé à travers le fait de consulter ses notifications et d’y répondre, donc à travers le fait d’entretenir l’addiction. Pour le Dr Redouane Rabii, le manque d’intérêt pour la relation intime dans le couple, détournée par l’addiction aux écrans, s’installe progressivement, sans forcément que l’un des partenaires s’en rende compte, au point de finir par devenir une habitude ! Exactement comme n’importe quelle autre drogue. Les traitements médicaux s’avèrent souvent inefficaces, puisque la cause de ce désinvestissement n’est pas tant organique, mais bien psychologique. Le spécialiste affirme que «l’irruption des smartphones dans nos vies, et surtout leur utilisation abusive, peut causer des troubles de la sexualité. Auparavant, la chambre était strictement réservée au couple : ni la télévision ni les téléphones n’y avaient leur place. Je ne dis pas qu’il faudrait interdire la présence des smartphones dans la chambre à coucher. Mais le fait de désactiver les notifications entre le soir et le matin peut être une bonne chose pour limiter leurs effets néfastes».
LE TEMPS