«22.20»

PAR HASSAN EL ARCH
Un peu de pédagogie ne fait jamais de mal. En particulier quand il s’agit de l’opinion publique, et non d’initiés ou d’experts. Le devoir d’un média est, entre autres, de rappeler, documenter, recadrer les choses dans leur contexte, rafraîchir les mémoires… Qu’est-ce donc que ce projet de loi «22.20» autour duquel un énorme vrai-faux débat est en train d’enfler, depuis quelques jours ?
Le gouvernement le définit en ces termes : «un projet de loi qui vise à lutter contre les nouvelles tendances de crimes électroniques en renforçant les mécanismes de défense, sans pour autant porter atteinte à la liberté de communication numérique, forme de liberté d’expression garantie par la Constitution». Le porte-parole de l’Exécutif souligne l’esprit du texte en pointant les formes de cybercrimes qui affectent notamment la sûreté générale, l’ordre économique du pays, la publication de fake news, la promotion de comportements nuisant à la dignité et à l’esprit d’autrui, les délits ciblant les mineurs… Ce faisant, le projet de loi braque les projecteurs sur les développeurs de services sur les réseaux sociaux et souligne leurs obligations professionnelles et morales. En d’autres termes, la lutte s’intensifie de manière institutionnelle contre les contenus électroniques illicites, subversifs, haineux, radicalisants, destructeurs, antipatriotiques en fin de compte. Et ce n’est qu’un projet de loi. Ce qui signifie qu’il n’a pas encore été validé dans le circuit législatif, mais qu’il fait toujours l’objet d’ajustements, comme le prévoit toute démarche démocratique qui se respecte.
Le «22.20», rappelons-le, a été adopté le 19 mars dernier en Conseil de gouvernement. Depuis, un tollé ahurissant s’en est suivi, nourri et entretenu par une partie de la presse électronique, de concert avec certaines associations, mouvements, collectifs, blogueurs et youtubeurs traditionnellement connus pour leurs réflexes épidermiques vis-à-vis de tout ce qui est officiel, c’est-à-dire émanant de l’Exécutif. Leur crédo ? Le projet de loi est un texte «liberticide» ! Regroupés sous le hashtag «#يسقط_قانون_2220» («A bas la loi 22.20»), les plus virulents comparent le texte aux «lois adoptées par certains gouvernements dictateurs comme la Corée du Nord», accusant le gouvernement marocain de vouloir profiter du contexte actuel pour limiter la liberté d’expression. Excusez du peu… !
C’est leur liberté de s’exprimer ainsi, on est en démocratie. La nôtre est de dire que le «22.20» n’est pas encore suffisamment dissuasif ! Certains Articles (14 et 15 notamment) du projet de loi prévoient des peines allant de 6 mois à 3 ans de prison et une amende de 5.000 à 50.000 DH contre toute personne qui «appelle à boycotter certains produits, biens ou services ou y incite publiquement par le biais des réseaux sociaux ou réseaux de diffusion ouverts». La même sanction est prévue dans les cas d’incitation du public au retrait massif d’argent auprès des établissements de crédit et organismes assimilés. La diffusion de fake news susceptibles de jeter le doute dans l’esprit du grand public, sur la qualité et la sécurité de certains produits, est également visée par le projet de loi.
La «morale» de l’histoire ? Il y en a toujours une, et la voici en l’occurrence, telle qu’on veut nous la vendre en ces temps de conscience nationale à cimenter plus que jamais : «laissez-nous appeler au désordre, inciter à la division, promouvoir la violence, répandre le mensonge et déstabiliser la société, et si vous comptez nous en empêcher, alors vous êtes contre la liberté d’expression et la liberté de la presse». On ne peut pas mieux résumer cet état d’esprit. Les vrais patriotes en auront compris l’antithèse !
Le Maroc est en guerre, ces jours-ci. Nul besoin, par contre, de faire ici la moindre pédagogie. Une guerre contre la pandémie et ses effets dévastateurs sur l’économie et sur la société. En essayant de saper le moral des citoyens, en voulant affaiblir les structures de l’Etat, en tirant à boulets rouges sur les efforts extraordinaires qu’il déploie pour préserver la santé et la sécurité des Marocains en ces temps difficiles, on se déclare tout simplement antipatriote. Il n’y a pas d’autres mots.
Le Maroc est en nous et nous sommes le Maroc. Soyons dignes de notre drapeau.