Tous en apnée !

PAR HASSAN EL ARCH
Aucun doute : nos concitoyens sont en train de forcer la main au gouvernement ! Du moins, nos concitoyens les plus indisciplinés, les moins respectueux des règles qu’impliquent l’état d’urgence et le confinement qui va avec. Saâd-Eddine El Othmani a beau s’égosiller sous la coupole du Parlement, le Marocain moyen en a sa claque et l’exprime désormais ouvertement. «Li frassou frassou !», comme on dit dans notre bon dialecte…
Le Chef du gouvernement, qu’on le veuille ou non, a donné un blanc seing, ce 10 juin dernier, en déclarant à 36 millions de citoyens que non seulement le retour au travail devait se faire vite et bien, mais que la vie sociale normale devait reprendre ses droits pour permettre au pays de se réveiller enfin. Le confinement anesthésie les consciences. Le 10 juillet prochain, le Maroc comptera 110 jours d’apnée !
Comment peut-on donner d’une main ce que l’on reprend de l’autre ? Car, en l’occurrence, c’est ce qu’a fait le Chef de l’Exécutif en décrétant une nouvelle rallonge d’un mois de confinement, la quatrième depuis le 20 mars, tout en demandant au peuple d’aller «fissaâ» vaquer à ses occupations ! Difficile de faire plus incohérent en matière de communication. Ca me rappelle cette scène-culte d’un film où Al Pacino, avocat en diable, haranguait son apprenti en lui expliquant l’un des paradoxes les plus impénétrables de l’âme humaine : «Passe, mais ne regarde pas. Regarde, mais ne désire pas. Désire, mais ne touche pas. Touche, mais ne goûte pas. Goûte, mais ne te délecte pas. Délecte-toi, mais ne recommence pas».
Le ras-le-bol du confinement pousse les Marocains, même les plus respectueux des règles d’exception, à violer déjà mentalement ces règles puis à marcher dessus quand la vision des mêmes murs devient trop oppressante, pour les grands comme pour les petits. Comment dès lors s’étonner que nos boulevards soient déjà si noirs de monde, que la circulation automobile soit redevenue ce qu’elle a toujours été et que les barrages de contrôle de police ressemblent maintenant à des passoires ?! Corollairement, comment s’étonner de la flambée des nouvelles contaminations qui se déclarent chaque jour par dizaines dans les centres urbains ? Si des sites industriels sont devenus des clusters à ciel ouvert et que des quartiers populaires pullulent de nouveaux foyers viraux, n’allons pas invoquer le «mektoub» ! A moins de trois semaines de son échéance, le modèle de confinement marocain bat un record mondial de longueur. Faudrait-il y ajouter un record de la bêtise ? Celle-ci est évidente pourtant : défendre la chose et suggérer son contraire.
La semaine dernière, on rappelait sur ces mêmes colonnes comment des Etats très avancés ont fait ce choix cornélien, l’assumant envers et contre leurs propres opinions publiques, consistant à revenir à une vie normale pour sauver les fondamentaux de l’économie. Au risque d’aggraver la transmission de la maladie. Mais en combattant le «Covid-19» avec des moyens scientifiques, technologiques et financiers autrement plus conséquents que les nôtres. Le dilemme pour El Othmani, pour le gouvernement, réside dans ce constat. Libérer les gens en aggravant la pandémie ou les confiner encore, encore et encore tout en fabriquant des schizophrènes. C’est sûr, il ne fait pas bon être Chef du gouvernement ni Ministre de la Santé par les temps qui courent…