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CHRONIQUE

Protection sociale : la grande marche d’un chantier Royal

Par MUSTAPHA SEHIMI

Politologue, professeur universitaire et journaliste.

Un projet sociétal par excellence, un chantier de généralisation de la couverture sociale, une forte et irréversible inflexion dans la mise sur pied et la refonte du dispositif de protection sociale : tel peut être le résumé de ce chantier Royal. Le Souverain en avait fait l’annonce, en octobre dernier, devant le Parlement. Des axes avaient été alors définis; une feuille de route tracée avec des étapes. Ne restait plus que la concrétisation de cette nouvelle politique.

Un Conseil des ministres a approuvé, le 11 février dernier, le projet de loi-cadre sur la protection sociale. Il a été ensuite délibéré et voté par le Parlement. Sa mise en œuvre a été lancée officiellement par le Souverain voici deux semaines, lors de la signature des premières conventions. Les objectifs assignés sont multiples, mais les plus marquants et les plus importants sont bien sûr le soutien du pouvoir d’achat des familles marocaines et la réalisation de la justice sociale et spatiale.

Qu’en est-il dans le détail ? Le premier axe a trait à l’élargissement de l’assiette des bénéficiaires de l’assurance-maladie obligatoire (AMO). Seront ainsi incluses les catégories vulnérables bénéficiant du Régime d’Assurance Médicale (RAMED) et celles des professionnels et travailleurs indépendants et personnes non-salariées. Elles exercent une activité libérale. Au total, ce seront pas moins de 22 millions de personnes supplémentaires qui y seront éligibles.

Il y a plus, dans ce nouveau dispositif !

Cette assurance va couvrir les frais de traitement, de médicaments et d’hospitalisation. Pour l’année 2021 en cours, un calendrier a été retenu :

– Généralisation de l’AMO à l’horizon 2022.

– Intégration des catégories assujetties à la contribution professionnelle unique (800.000 commerçants et artisans) dès la fin du premier trimestre 2021.

– Extension de ce nouveau régime à 1,6 million d’agriculteurs et 500.000 artisans au cours du deuxième et du troisième trimestre 2021.

– Ensuite, ce sera le tour des professionnels du secteur des transports (220.000 bénéficiaires) des professions libérales et réglementées (80.000) d’ici à la fin du quatrième trimestre 2021.

Un autre axe intéresse, lui, la généralisation des allocations familiales durant les années 2023 et 2024, pour couvrir quelque 7 millions d’enfants en âge de scolarité. Des ménages vont ainsi en bénéficier par l’allocation d’indemnités couvrant les risques liés à l’enfance ou encore par une autre formule, celle des indemnités forfaitaires.

Mais il y a plus, dans ce nouveau dispositif social. Ainsi, il est prévu – et c’est le troisième axe – l’élargissement en 2025 de l’assiette des adhérents aux régimes de retraite. Il s’agit d’y inclure les personnes exerçant un emploi et ne bénéficiant d’aucune pension. Un système de retraites particulier à ces catégories de professionnels, de travailleurs indépendants et de personnes non-salariées exerçant une activité libérale sera mis sur pied. Il va permettre d’englober toutes les catégories concernées exerçant une activité libérale.

Enfin, ce dernier axe : la généralisation de l’indemnité pour perte d’emploi, en 2025. Ce système avait commencé à être appliqué depuis plusieurs années, mais il restait limité. Il n’a, en effet, profité qu’à 52.000 personnes en 2019. Il vise désormais à couvrir toute personne exerçant un emploi stable à travers des procédures et des conditions simplifiées.

Les défis qui pèsent sur le système

Reste le financement de ce grand chantier de réformes. C’est qu’en effet la gestion de tous ces programmes à l’horizon 2025 va nécessiter une enveloppe annuelle de 51 milliards de DH. Quelle est sa ventilation par secteurs ? La répartition annoncée par le ministre de l’Economie et des Finances est la suivante :

– AMO : 14 milliards de DH.

– Allocations familiales : 20 milliards de DH.

– Retraites : 16 milliards de DH.

– Indemnité pour perte d’emploi : 1 milliard de DH.

Deux mécanismes vont contribuer au financement de cette réforme. Le premier est celui d’un mécanisme basé sur les cotisations. Il a été évalué à 28 milliards de DH. Il est réservé aux personnes dotées d’une capacité contributive pour le financement de la couverture sociale. Quant au second, un mécanisme de solidarité d’un montant de 23 milliards de DH, il sera mis en place au profit des personnes démunies.

Dans cette perspective, seront aussi développés des modes de gestion plus efficients, notamment ceux en rapport avec la gouvernance des organismes de sécurité sociale. Il s’agit de créer une instance unifiée de coordination et de supervision des systèmes de protection sociale. Une claire orientation a été donnée à cet égard  par le Souverain qui a appelé à «une concertation élargie avec l’ensemble des partenaires et à la mise en place d’un pilotage innovant et efficace de ce projet sociétal».

Par-delà cette grande réforme de la protection sociale, seront aussi appréhendés les défis pesant sur le système de santé, en particulier le faible taux d’encadrement médical avec son important déficit en ressources humaines et l’inégalité de leur répartition géographique. Les capacités médicales nationales devront être renforcées pour réduire le déficit en matière de cadres sanitaires et permettre de répondre à une demande sans cesse en augmentation. D’où l’ouverture de la pratique de la médecine aux compétences étrangères, l’encouragement des établissements internationaux de santé à travailler et à investir au Maroc ainsi que la capitalisation des expériences réussies.

Une «révolution sociale», comme l’a répété le Ministre de l’Economie et des Finances, Mohamed Benchaâboun, devant S.M. le Roi, le 14 avril, à Fès. La qualification n’est pas exagérée, tant s’en faut. Quel autre pays, maghrébin, arabe ou continental, peut exciper, en effet, d’une telle généralisation de la protection, par étapes, d’ici à 2025 ? Il ne s’agit pas là d’une inflexion soudaine et inattendue des politiques publiques mises en œuvre. Bien au contraire, l’on a affaire à un projet de société annoncé dès le début du Règne. Une vision ambitieuse d’un modèle de développement dont le référentiel n’est autre que le progrès social des Marocains et l’amélioration de leurs conditions de vie. Si l’on veut mettre en perspective cette philosophie-là, l’une des clés se trouve dans les dispositions de l’Article 1 de la Constitution – comme d’ailleurs dans toutes les lois suprêmes qui se sont succédées depuis 1962 – lesquelles consacrent le principe d’une «Monarchie sociale».

Mise en place de leviers de changement

Pour cela, il a fallu mettre en place des cadres opératoires et des leviers de changement et d’accompagnement. Lesquels ? Voici près de seize ans, a eu lieu le lancement de l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH), le 18 mai 2005. Dans son discours, le Souverain a mis l’accent sur le «projet sociétal». Il l’a défini en ces termes : un «modèle bâti sur les principes de démocratie politique, d’efficacité économique, de cohésion sociale et de travail». Et d’ajouter encore «la possibilité donnée à tout un chacun de s’épanouir en déployant pleinement ses potentialités et ses aptitudes».

Pas d’assistanat donc, mais autre chose et sur un autre registre : celui du renforcement des actions et des politiques de l’Etat dans des activités génératrices de revenus. Celui aussi du développement et de la promotion du capital humain. Celui encore du soutien et de l’appui aux catégories sociales confrontées à une situation difficile et précaire. C’était là un nouvel instrument supplantant l’action quelque peu éparpillée et éclatée de ce que faisait l’Etat depuis toujours. Il s’insérait dans l’élaboration d’un autre modèle de développement. Il allait se décliner ensuite en trois phases priorisant chacune, suivant des modalités particulières, un train de mesures économiques et sociales, certaines d’entre elles étant désormais davantage fléchées en direction et au profit des jeunes. Il y a tant à faire ! Personne ne le conteste. En 2019, le rapport du PNUD classait ainsi le Maroc en bas de classement, avec un médiocre 121ème rang sur 189 pays, pour ce qui de l’Indice de Développement Humain (IDH). Mais dans le même temps, sur la longue période 1990-2018, le Royaume améliorait ce taux de près de 50%, grimpant de 0,458 à 0,676.

Une «longue marche» ! Assurément, elle doit être poursuivie et même accélérée. Une contrainte qui a été fortement mise en relief avec l’état du système de protection sociale mis à nu, frontalement, par les insuffisances du système actuel face à la crise sanitaire du «Covid-19». Ce sont surtout les catégories sociales relevant du secteur informel qui ont été, en effet, les plus touchées par cette conjoncture exceptionnelle créée depuis plus d’un an.

L’Etat a été, en cette circonstance, à la hauteur de la situation. Il a trouvé là une opportunité de faire montre de résilience. D’agilité aussi. Des mesures drastiques ont été prises dans les meilleurs délais. Preuve qu’il y a au Maroc un Etat debout, un Etat protecteur, un Etat social aussi.

(Photo : AIC Presse)

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